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ou L’Économie de la Débâcle

268 760 radiations d’entreprises ont été sur la période du 3ème trimestre 2024, soit une augmentation de 3 % par rapport à l’an dernier.

Alors que les chiffres s’alignent pour célébrer un record de créations d’entreprises en France, avec 427 140 nouvelles entités enregistrées au troisième trimestre 2024, un tableau bien plus obscur s’esquisse en filigrane. Ce vent d’entrepreneuriat, gonflé d’espoir et de promesses d’un avenir riche en innovations, cache en réalité un revers bien plus tragique : le marché des liquidations d’entreprises, devenu un véritable secteur à part entière, prospère sur les ruines de ceux qui se sont aventurés sans armure dans la jungle économique.

On pourrait voir dans cet engouement entrepreneurial une preuve que « l’envie d’entreprendre est plus forte que jamais ». Mais à quoi bon créer si l’on doit bientôt disparaître ? Car face à cette floraison de nouvelles entreprises, 268 760 radiations sont enregistrées sur la même période, soit près de deux radiations pour trois créations. Le rêve d’indépendance cède la place à la réalité brutale des fermetures, alimentant un marché où la faillite des uns devient l’opportunité des autres. Ce cycle de liquidations, loin d’être une simple statistique, révèle une économie où la fragilité et l’éphémère sont devenus des produits monnayables.

Le cercle de la précarité : une économie de l’échec

Les liquidateurs, les mandataires judiciaires et les avocats spécialisés dans la fermeture d’entreprises ont trouvé leur Eldorado dans ce qui pourrait être décrit comme une « économie de la débâcle ».

Ces professionnels de la fin de vie entrepreneuriale perçoivent des honoraires proportionnels aux actifs à liquider et aux créances à récupérer. En effet, chaque clôture d’activité alimente une chaîne de services rémunérateurs, transformant le malheur en gain.

Dans les salles de vente aux enchères, l’on retrouve les machines, les meubles et les stocks accumulés par ces entreprises défuntes. Des acheteurs opportunistes, souvent eux-mêmes entrepreneurs avertis, se pressent pour récupérer à prix bradés les vestiges de rêves brisés. Ici, tout se monnaie, tout se rachète : une imprimante, un bureau, un camion… « Dans ce marché, il n’y a pas de gaspillage, seulement des occasions », diront certains, sans mesurer le poids humain derrière ces enchères.

Un succès de façade, une misère réelle

La tendance des radiations, qui augmente de 3 % par rapport à l’an dernier, souligne une fois de plus cette contradiction inhérente : comment parler de succès entrepreneurial quand la durée de vie des nouvelles entreprises se réduit comme peau de chagrin ? La plupart des petites entreprises créées aujourd’hui sont aussi fragiles qu’un château de cartes. Faiblement capitalisées, souvent lancées par des néophytes en quête de liberté financière, elles résistent rarement aux secousses économiques.

Le chercheur américain Howard Stevenson définissait l’entrepreneuriat comme « la poursuite d’opportunités sans tenir compte des ressources actuellement contrôlées ». Cette définition, belle en théorie, est cruelle en pratique. L’entrepreneur débutant se retrouve confronté à un gouffre de dettes, acculé par des créanciers, des charges fiscales, et une concurrence implacable. L’absence de soutien à long terme le pousse souvent à « foncer la tête la première, mais sans filet », résume un avocat spécialisé dans les affaires de faillite.

Les perdants et les gagnants de la liquidation

Derrière chaque fermeture, des familles endettées, des projets inachevés, des rêves broyés. Mais pour les autres, c’est l’occasion rêvée. Certains acteurs de la finance prospèrent dans ce cycle de désespoir. Les sociétés de recouvrement, par exemple, s’emparent des créances laissées en suspens par les entreprises en liquidation, souvent à des prix ridicules. Elles s’attellent alors à récupérer ces créances auprès des débiteurs, exploitant jusqu’au dernier centime les ruines laissées par la faillite.

Quant aux grandes entreprises, elles voient dans ce rythme de radiations une opportunité d’étendre leur empire sans avoir à se battre pour les parts de marché. « La concurrence se réduit d’elle-même », ironise un cadre d’une grande chaîne de distribution. Pour eux, chaque liquidation est un obstacle de moins, un fragment de marché récupéré sans effort.

Au-delà des chiffres : la quête d’une solution durable

Cette spirale de création-destruction n’est pas seulement un chiffre ou un phénomène ; c’est un cycle destructeur qui fragilise le tissu économique et sape les rêves de milliers d’aspirants entrepreneurs. En encourageant la simple création de nouvelles entreprises sans un véritable accompagnement pour les aider à s’installer durablement, on alimente une bulle d’initiatives éphémères.

Loin de favoriser une économie prospère, cette dynamique creuse un fossé entre ceux qui ont les moyens de prospérer dans la tempête et ceux qui s’y noient. Les chiffres, bien qu’enthousiasmants de prime abord, révèlent une économie où « l’on pousse à entrer dans l’arène sans armure, pour finir en proie dans les gradins », comme le résume un expert des marchés financiers.

Si l’on veut vraiment que cette dynamique entrepreneuriale soit porteuse d’avenir, il est impératif de revoir le soutien structurel accordé aux jeunes entreprises, de favoriser l’accompagnement à la survie plus qu’à la simple création. Car derrière chaque entreprise qui se crée et qui disparaît se cache bien plus qu’un chiffre : c’est un rêve brisé, une ambition laissée en rade, et une société qui perd en résilience.

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