“Je déteste les gens intelligents”
Parcoursup 2022 s’est conclu vendredi 8 avril à minuit. L’enjeu est de convaincre que nous sommes intelligents, aptes et motivés, en conformité avec nos choix …à 18 ans. Intelligents ? Mais c’est quoi l’intelligence ? Cela signifie que si je n’ai pas entre 17 et 19 de moyenne entre Bac et concours, je ne vais pas pouvoir poursuivre la formation que j’ai choisi depuis des années ? Que ma vie est fichue et que je vais devoir me “contenter” d’un second ou d’un dixième choix avec le sentiment à vie que je ne suis pas à la hauteur de mes ambitions ? Commencer ma vie avec le sentiment d’échec ?
Pour décompresser, j’ai fait un petit tour sur les forum et j’ai trouvé un petit échange sur l’intelligence daté de 2011, toujours d’actualité, que je fais suivre :
Drôle. Plein d’humour. Et avouons-le : les jeunes se prennent moins la tête que les “vieux”. Si on nous demandait notre avis, sans doute notre avenir ne serait ni déterminé par un Parcoursup ni par un parcours du combattant qui excluent plus qu’ils n’incluent qui que ce soit, discriminent et poussent au repli sur soi, donnant à une majorité de jeunes le sentiment dès le départ d’être en situation d’échec et cultivant la compétition au lieu de la réalisation de soi.
Bref, j’ai fini de compléter mon dossier Parcoursup à minuit moins cinq comme tous mes copains de terminale ou presque, et ce sont les élections qui prennent le relais coté obligations.
Je suis allé tâter la température sur les réseaux sociaux, tout en gardant en tête l’échange du forum. La rédaction, en me confiant cette rubrique “Jedi Jeunes” m’a dit : “éclate-toi”, ‘exprime-toi”, “invite les autres jeunes à en faire autant”.
Et bien cette toute première contribution est faite pour cela : inviter les 15-24 ans à m’envoyer leurs articles, leurs témoignages, porter notre voix dans ce monde de vieux adultes qui n’ont pas confiance en nous et ont compromis notre présent par leurs choix passés : jeunes@jedi.media
Le silence média pré électoral a commencé et nous sommes à quelques heures du premier tour.
Je vais donc voter pour la première fois et j’invite ceux de ma génération à ne pas faire l’impasse sur le vote. C’est de notre futur qu’il s’agit.
Donc je suis allé lire du côté des “vieux” et quoi de mieux que ce bon Facebook, qui on le sait tous, a vu sa moyenne d’âge augmenter depuis 2009 et les 18-24 ans ont été détrônés comme dans d’autres réseaux qui sont envahis par les over 35 et over 60.
Nos “vieux” n’en ont pas conscience, mais ils ont fait d’un instrument génial, un dépotoir. A chaque fois nous migrons vers un nouveau réseau, et à chaque fois ils nous suivent et le détériorent, à leur image.
Ils viennent nous donner des leçons et offrent un spectacle pitoyable d’incivilité, d’ignorance, de superficialité. Les insultes fusent quelques soient les partis qu’ils soutiennent et ils sont incapables d’argumenter leur vote ou de parler du contenu du programme de leur candidat.
Les quelques-uns qui s’y emploient sont vite traités d’arrogants, de corrompus, de “bourges” qui craignent de perdre leurs “privilèges” et j’en passe.
Certes, les électeurs ne sont pas aidés avec des médias qui n’ont pas su organiser des débats et le refus des candidats de débattre ou par la vacuité des programmes eux-mêmes.
64 % des jeunes considèrent que la "société doit être améliorée progressivement par des réformes", mais 64 % montrent aussi "des signes de désaffiliation politique (en ne se situant pas sur l’échelle gauche-droite ou en ne se sentant de proximité avec aucun parti) ".
Olivier Galland et Marc Lazar « Une jeunesse plurielle » auprès des 18-24 ans
Alors que plus de 1186 élus ont été menacés et agressés en 2021, selon le Ministère de l’intérieur, remettant en cause leur autorité et leur légitimité, certains citoyens attendent aussi un « maître », quelqu’un dont le savoir ou le pouvoir seraient providentiels – un maître qui ne devrait jamais se tromper et dont le savoir devrait être infalsifiable. C’est ainsi que face aux hésitations du gouvernement durant la crise sanitaire, Didier Raoult s’est imposé, pour certains, comme un « sachant » qui pouvait nous indiquer la voie à suivre, sans même avoir à prouver scientifiquement sa démarche.
De tels « maîtres » ne manquent pas de s’imposer ailleurs et certains émergent ici, nous l’avons vu, qui peuvent prétendre à s’affranchir du réel lui-même : la vérité des faits, la science, l’histoire, leurs propres limites. C’est ainsi que l’aspiration démocratique et la remise en cause des autorités élues peut aboutir en une aspiration autoritaire. C’est ainsi que, selon Dominique Bourg, les déstabilisations liées au changement climatique pourraient aboutir à une forme de climato-fascisme, dont il voit les prémisses dans la guerre en Ukraine. Les idéologies politiques du XXIe siècle pourraient ainsi se reconfigurer autour de nouveaux récits politiques démocratiques ou autoritaires.
Le sociologue Ulrich Beck soulignait déjà ce paradoxe d’une impuissance autoritaire durant la crise économique en 2008 dans Le Monde :
« À lui seul, un gouvernement ne peut combattre ni le terrorisme global, ni le dérèglement climatique, ni parer la menace d’une catastrophe financière. […] La globalisation des risques financiers pourrait aussi engendrer des “États faibles” – même dans les pays occidentaux. La structure étatique qui émergerait de ce contexte aurait pour caractéristiques l’impuissance et l’autoritarisme postdémocratique ».
L’impuissance est une fois encore pointée comme la source d’un risque de glissement vers un régime autoritaire. Autrement dit : impuissance et autoritarisme sont les deux faces d’une même médaille, l’autoritarisme véhiculant le fantasme d’une « toute-puissance » retrouvée.
Vers une citoyenneté-puissance ?
Aussi, il serait contre-productif de s’arc-bouter sur une forme de citoyenneté qui produit de l’impuissance : une idée de la participation citoyenne reposant uniquement sur l’exercice du « pouvoir » (élire, être élu, et participer aux institutions) et qui exclut toutes les autres actions transformatrices possibles. Il s’agit, au contraire, de concevoir une forme de puissance citoyenne, une manière de proposer, de développer ses capacités politiques et d’agir qui ne soit pas ignorée par les institutions.
C’est donc une dialectique subtile qui doit s’engager entre une « citoyenneté-pouvoir » et une « citoyenneté-puissance ». La formule alchimique est la suivante : la perpétuation de notre régime démocratique dépend de cette aptitude à transformer l’impuissance des citoyens en pouvoir d’action.
Et ce n’est pas une vaine incantation : comme le souligne la sociologue Patricia Loncle, « en dehors des rencontres électorales, les jeunes développent des formes d’engagement multiples » et font changer les choses, sur le terrain, dans le domaine de l’écologie, du féminisme, ou encore de l’accueil des migrants.
C’est depuis ces initiatives de terrain qu’il sera aussi possible de redéfinir les grandes problématiques de notre époque, comme les militants d’Act Up-Paris ont su le faire pour bouger les lignes et aboutir à la loi du 4 mars 2002, fondatrice de la démocratie en santé à la française.
Aussi, il nous faut construire des institutions républicaines accueillantes de ces initiatives et actions. Une autre démocratie est possible, qui passe par une responsabilisation précoce des individus, qui développe les capacités citoyennes tout au long de la vie, et qui suppose que nous parvenions à vivre en bonne entente. Mais pour cela, il s’agirait de développer et institutionnaliser les démarches de débats citoyens dans la conception et la mise en place des politiques publiques, de faire une place privilégiée à l’expertise des personnes concernées, d’apprendre à orchestrer les controverses au cœur des crises, de manière pacifique et en posant les questions de manière argumentée, et intégrer la pratique du débat dans les programmes scolaires. Nous ne dirons jamais assez qu’au-delà de l’efficacité du régime, la démocratie est une fin en soi, un mode de vie partagé, une manière d’habiter le monde.