John Maynard Keynes, Théorie générale de l'emploi, de l'intérêt et de la monnaie
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John Maynard Keynes était-il keynésien ?

Une question qui peut paraître saugrenue tant il est vrai que John Maynard Keynes est l’économiste qui a révolutionné la pensée économique du XXème siècle.

Théorie keynésienne et théories classique et néoclassique

On a très souvent opposé la théorie keynésienne à la théorie classique et néoclassique. On a laissé ainsi penser qu’il est une troisième voie entre le libéralisme économique et l’économie collectiviste prônée par Karl Marx et mise en application en Union Soviétique, les anciennes démocraties populaires et la Chine de Mao.

Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie

Or, les choses sont beaucoup plus complexes qu’il n’y paraît. En effet, la “Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie“, ouvrage de John Maynard Keynes paru en 1936, constituant le corpus théorique du keynésianisme a sans doute été mal  comprise.

Et elle a été tout autant mal interprétée par nos dirigeants politiques, comme l’a d’ailleurs été dans une certaine mesure le Capital de Karl Marx par les révolutionnaires bolcheviks de 1917.

John Maynard Keynes était un libéral et n’était pas pour l’Étatisme

Contrairement a ce qu’on a pu lire ici ou là, John Maynard Keynes était un libéral et n’était pas pour l’Étatisme. Sa théorie est en réalité une reformulation des thèses classiques de l’équilibre des marchés, et, du postulat de Jean Baptiste Say selon lequel l’offre crée sa propre demande dont il a été  démontré qu’il était scientifiquement faux, notamment avec la crise des années 30.

Alors que les économistes néo classiques raisonnent en termes d’équilibre partiel, Keynes aborde quant à lui l’économie en terme d’équilibre général. Cela signifie que les différents marchés (marché du travail, marché des biens et services et marché de capitaux) sont interdépendants. Ainsi des déséquilibres et/ou dysfonctionnements se manifestent sur l’un de ces marchés, les autres sont également perturbés.

La vraie novation de sa pensée réside dans la notion d’économie de sous emploi auquel le tout marché ne peut apporter les réponses suffisantes. En cas de baisse de cycle, seul l’État peut agir par la dépense publique sur la demande effective (consommation et investissement), et, relancer l’activité économique. Ainsi, un euro de dépense publique supplémentaire induit, par un effet multiplicateur, une augmentation plus que proportionnelle du revenu national.

Les ménages aux revenus les plus modestes avaient la propension marginale à consommer la plus élevée.

Keynes avait ainsi identifié que les ménages aux revenus les plus modestes avaient la propension marginale à consommer la plus élevée.

Interprétations caricaturales des penseurs libéraux

Keynes n’avait pas non plus négligé la monnaie et les entreprises. En effet, il considérait qu’en période de déflation, toute politique monétaire expansive était inefficace et qu’elle aboutirait à une trappe à liquidité. De même, un entrepreneur n’investit que s’il a l’assurance que le taux d’intérêt (r) est inférieur au taux de croissance (g) ou en d’autres termes lorsque la rentabilité de l’investissement est supérieur au coût du capital emprunté.

Ces brefs rappels largement connus des économistes méritaient d’être rappelés pour contredire les interprétations caricaturales des penseurs libéraux.

L’offre et la demande ne s’ajustent pas automatiquement : rôle de l’État

Keynes n’a jamais prôné le déficit et la dette publics systématiques et permanents. Si l’on relit bien la Théorie générale, le recours au déficit budgétaire consiste à pallier de manière temporaire à  l’insuffisance de la demande et de l’investissement privé car seul l’État dispose de la capacité financière pour parer aux déséquilibres des marchés en agissant sur le cycle économique, car contrairement au raisonnement des économistes classiques et néoclassiques, l’offre et la demande ne s’ajustent pas automatiquement.

En effet, et cela avait été déjà souligné par Marx lui même, la suraccumulation du capital au détriment du facteur travail induit des crises de surproduction et partant une baisse tendancielle du taux de profit. C’est inhérent au système capitaliste qui est considéré comme instable par nature et donc générateur de crises.

C’ est en cela que les thèses développées par Keynes ont été novatrices et qu’elles ont structure les politiques économiques d’après guerre.

John Maynard Keynes tombé en disgrâce injustement

Si John Maynard Keynes est quelque peu tombe en disgrâce à compter du milieu des années 70, à mon sens de manière tout à fait injuste, au motif que les politiques préconisées étaient inopérantes pour surmonter la stagflation, pour autant il ne saurait être nie qu’elles ont été plutôt mal appliquées. Dans une économie ouverte, il est vrai que les politiques de relance doivent être conduites de manière concertée et non de manière isolée, comme cela fut le cas en 1981 avec le gouvernement Mauroy, ce qui explique en grande partie son échec parce que mal comprise.

Retour des politiques keynésiennes avec les crises de 2008 et 2020

Toutefois, il est à noter que le retour des politiques keynésiennes en 2008 avec la crise des subprime et en 2020 avec la pandémie du Covid 19 a eu des effets positifs sur nos économies parce que celles ci ont été précisément conduites de manière concertée afin d’éviter un effondrement plus général.

Face à la crise actuelle qui nous rappelle étrangement celle des années 73-75, quoi que le contexte soit sensiblement différent, l’éternel débat entre keynésiens et libéraux est somme toute dépassé dans la mesure où l’on dispose d’outils d’analyse plus précis des déséquilibres entre l’offre et la demande sur les différents marchés nous permettant d’adopter sans dogme les mesures adaptées, et non sombrer dans des querelles idéologiques de part et d’autres comme ce fut jusqu’alors le cas au point que tout débat était devenu interdit (Jean Paul Fitoussi).

L’effet rattrapage entre une demande accrue et une offre insuffisante

Imputer l’inflation actuelle à une cause purement monétaire est à mon sens erroné. On doit prendre en compte en premier lieu l’effet rattrapage entre une demande accrue et une offre insuffisante pour y répondre, du fait de l’arrêt des chaînes de production et d’approvisionnement au niveau international résultant de la crise sanitaire, ce qui est un premier facteur d’augmentation des prix. En second lieu, la politique monétaire accommodante (quantitative easing) a permis aux économies d’éviter de tomber dans la déflation.

C’est la raison pour laquelle l’inflation en Europe, notamment en France, est due à des facteurs exogènes (augmentation du prix des énergies fossiles et des céréales). Elle est sur ce point différente de celle des États Unis.

Aux États Unis l’élément explicatif réside dans la boucle prix-salaires et l’augmentation de la masse monétaire résultant de relances budgétaires inappropriées. Ces relances ont été entreprises par l’administration Trump puis poursuivies par Joe Biden dans un contexte de surchauffe de l’économie.

John Maynard Keynes n’est pas véritablement keynésien

Au regard de tout ce qui précède, une relecture de la théorie keynésienne s’impose car tous ces phénomènes décrits ont été abordés de manière précise dans la Théorie générale. Car au final, il ne s’agit pas d’opposer Keynes aux économistes libéraux comme cela nous a été enseigné pendant des décennies. Bien au contraire, Keynes a eu le mérite de corriger les erreurs de raisonnement des néoclassiques et de reformuler la théorie de l’équilibre des marchés. C’est pourquoi je prendrais le risque d’affirmer, sans doute au grand dam des économistes néolibéraux, que Keynes n’est pas véritablement keynésien.

Keynes appartient en réalité au courant néoclassique, à l’instar de Marx qui a été le dernier économiste classique par sa reformulation de la théorie de la valeur travail de David Ricardo.

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